Je suis dans la salle d’attente de mon médecin généraliste. Je ne suis pas malade. Enfin… je ne crois pas. Je suis là parce qu’on m’a poussée à venir. Je suis à deux doigts de faire demi-tour. Mais mon tour arrive. « Madame, qu’est-ce qui vous amène ? » Je m’effondre. Les larmes jaillissent. Avec elles, les mots que je retenais depuis des mois. Je suis fatiguée. Épuisée. Je n’ai plus d’élan, plus de désir. Ce travail que j’ai tant aimé, porté, investi… je ne le reconnais plus. Et surtout : je ne me reconnais plus.
Femme de défis viscéralement attachée à l'intérêt collectif, maman de 2 enfants, épouse attentionnée et cadre supérieure à responsabilités, Bénédicte a 50 ans aujourd'hui et se remet doucement de son burn-out vécu en 2024. Elle m'a offert le récit de son parcours pour partager son expérience et sa résilience. Bénédicte nous donne l'opportunité d'explorer les impacts de l'engagement sans faille, de comprendre qu'être forte, tenace, n'induit en aucun cas le sacrifice. Elle nous guide dans les méandres de l'apprentissage du respect de soi, sans souci du regard des autres. Et si se réconcilier avec chacune de ses parts intimes était la source d'une puissance plus sensible et plus efficiente ?
Il aura suffit d'un simple paragraphe lu dans un dépliant en 3e pour qu'elle découvre son métier passion. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne Bénédicte a toujours voulu œuvrer au service du collectif, c'est dans son ADN. Après des études de Droit, l'exploration furtive du métier d'avocat puis l'obtention d'un DESS administration locale et du concours d'attaché territorial, Bénédicte devient Directrice Générale des Services dans une mairie à seulement 25 ans. Ce sera son métier, sa collectivité, son territoire d'attache. Elle y travaillera 25 ans, jusqu'au 27 février 2025 précisément.
Jeune femme dynamique et enthousiaste, Bénédicte a toujours été leader. C'est inné chez elle. Elle aime décider, diriger, animer un groupe, créer du collectif et servir un objectif commun. Etre Directrice Générale des Services lui correspond. Femme de tempérament, intelligente, elle sait décider, elle assume, elle se bat, elle relève les challenges et si elle chute, elle se relève et continue. C'est telle une wonder woman qu'elle embrasse sa carrière en 1999. Compétitrice convaincue, un brin idéaliste, Bénédicte entre dans le monde des collectivités territoriales à une époque où les dirigeants sont très majoritairement des hommes. Les clichés ont la peau dure. Etre une femme directrice nécessite d'avoir de la poigne et beaucoup de tempérament. Le regard qui sera posé sur sa jeunesse, elle qui débarque en tant que secrétaire générale, sera acéré. "Elle est trop jeune", "Elle n'a pas d'expérience", "Elle ne tiendra pas 6 mois", dira-t-on dans les couloirs. Succédant à des pratiques masculines de la vieille école que tout le personnel craint, à la tête d'une équipe entièrement féminine, elle va devoir combattre les préjugés, s'accrocher et s'armer de patience pour mener à bien sa mission. En tant que dirigeante, Bénédicte doit mettre en œuvre de nouvelles méthodes de travail au sein de l'équipe, instaurer un cadre de fonctionnement respectueux. Jugée telle une empêcheuse de tourner en rond, femme dirigiste, son équipe est méfiante et récalcitrante face aux décisions. Les langues mégères s'en donnent à cœur joie. Les absences, les non-dits, les coups bas aussi. Les idéaux tombent… Pour autant, Bénédicte est une battante. elle s'accrochera pour relever le défi qui s'impose à elle et mener à bien l'action politique locale. Convaincus de sa pertinence et de la nécessité d'une personne qui met en place un cadre au sein des services, Bénédicte trouve le soutien auprès des élus et de ses homologues du réseau local. Bénédicte se sent moins seule et peut prendre appui auprès de ces personnes. Elles seront salvatrices pour assumer sa place et tenir debout les 5 à 6 années nécessaires pour recréer un environnement sain. Sa patience et sa persévérance lui permettent la reconnaissance après les efforts fournis. Elle a trouvé sa place, tout comme les membres de son équipe. Wonder woman a su relever le défi !
C'est également à 25 ans, en 1999, que Bénédicte rencontre son mari. Ils s'aiment. Leur rêve ? Fonder une famille. Elle s'engage dans sa vie professionnelle comme dans sa vie personnelle. Gérer le quotidien avec des enfants et ses missions à responsabilité ? C'est ok ! Energique et forte, les challenges sont ses moteurs. La vie va pourtant lui amener le pire. On ne parle plus de défi, on parle d'un mur à surmonter. Bénédicte et son mari vont faire face au deuil périnatal à deux reprises. Deux de leurs 4 enfants décèderont. Comment imaginer une seconde la souffrance abyssale provoquée par la perte de ses bébés ? Est-il possible de mesurer avec réalisme, les déflagrations provoquées par ces drames ? Perdre un enfant lorsqu'on rêve de fonder une famille, lorsque nous sommes parents c'est l'inimaginable, c'est l'inconcevable. L'enfant est une partie de nous, il nous tient par un amour indéfectible qui se nourrit au plus profond de notre cœur, qui lie nos âmes à tout jamais. Ces traumatismes, Bénédicte les traverse avec force et détermination. Wonder woman est toujours là : je me relève, je rebondis, je fonce. C'est sa loi. Pour autant rien n'enlève la douleur. Rien n'apaise son cœur de maman. Le travail sera alors une bouée de sauvetage à laquelle elle s'attache avec force et détermination. Véritable exutoire, ce sera aussi l'océan dans lequel elle se noiera.
A travers ses deux pans de vie, le travail et la famille, Bénédicte s'est engagée. Jamais faible, elle a toujours voulu montrer sa force et sa capacité à mener des équipes et des projets quels qu'ils soient. C'est bien pour relever ces challenges qu'elle est reconnue... Son costume de super héroïne lui va si bien. C'est comme ça qu'elle existe, notamment aux yeux des figures paternelles qu'elle admire tant. Œuvrer pour l'intérêt général revient à lutter contre toute injustice et servir au mieux le collectif. Cette valeur lui est viscérale.
La seconde facette créée pour le personnage de Wonder Woman est moins connue. Diana est une princesse d'une tribu d'amazones dont les origines sont liées à la mythologie grecque elle est emblématique et ambassadrice, c'est un personnage féministe. Ses créateurs ont particulièrement façonné sa représentation depuis les années 1980. Ses deux facettes réunies forment une guerrière, battante, luttant pour sa place dans et pour la société grâce à sa puissance et à la délicatesse de sa féminité. Deux facettes qui fondent ce personnage. Et toi Bénédicte, connais-tu toutes tes facettes ? Et si ce doux mélange venait perturber ton plan de carrière ? Et si la vie te donnait la nécessité d’éprouver une véritable fracture pour mieux te comprendre, atteindre l'équilibre salvateur dont tu as besoin pour te réaliser?
La vie est est en effet un parcours surprenant, un chemin rempli d'expériences et de surprises. Bénédicte a grandi de tout son vécu et de ses années d'engagement et de pouvoirs. En 2016 une rencontre va bouleverser ses plans. Dans l'exercice de son métier, elle fait la connaissance d'une coach professionnelle, la seule personne capable de lui faire prendre du recul, de l'arrêter dans son engagement qu'elle commence à comprendre comme frénétique. Bénédicte découvre de nouvelles possibilités : accompagner les personnes à travers le coaching. Quelques années plus tard, en proie au syndrome du nid vide suite au départ de la maison de ses deux garçons, Bénédicte a besoin d'un nouveau défi. La graine est semée, l'idée a germé. Elle se lance dans l'obtention d'un diplôme universitaire pour se former au métier de coach tout en conservant sa mission de Directrice Générale des Services au sein de sa collectivité territoriale. Officiellement coach professionnelle en juillet 2023, c'est le début d'un nouveau chapitre qui se révélera aussi engageant, nourricier qu'épuisant.
2024. 4 petits chiffres, une seule année et de nombreux bouleversements.
Burn-out veut dire état de fatigue intense et de grande détresse. Le mot est lâché. L'arrêt de travail est prononcé le 1er octobre 2024 à 15h précises, sans même réellement maîtriser ce qui t'a amenée dans ce cabinet médical. Il se terminera le 27 février 2025. Que veut-il dire ? Qu'impose-t-il à notre working girl, super maman et épouse attentionnée ? Il dit stop et il dit tout : l'énergie investie dans la cause collective, l'engagement à faire bouger les lignes, le désespoir des deuils, les sacrifices réalisés pour relever ses défis et se relever soi-même après chaque épreuve, la quête insatiable de reconnaissance. Bénédicte l'a vu venir ce burn-out. Quand la coach le savait au fond d'elle, la directrice résistait. En juillet, elle avait voulu quitté son poste au sein de la collectivité pour se consacrer au coaching. Elle avait préparé son intervention pour annoncer sa décision lors d'un rdv dédié. C'était le plan initial. C'était la bonne décision pour se sauver soi avant tout. Il aura fallu une petite phrase, simplement quelques mots de son employeur qui évoqueront un nouveau projet professionnel pour que Bénédicte s'entende dire " Je serai ravie de suivre ce projet avec vous" et pour qu'elle se réengage auprès de lui, au bénéfice de l'intérêt général. Quelques mots, quelques secondes... Que s'est-il passé ? Pourquoi avoir répondu ainsi quand on arrive avec l'intention de démissionner ? Quelle mécanique diabolique vient donc s'insinuer pour continuer cette dissonance entre se sauver soi et s'engager à corps perdus ? Etait-ce un revirement surréaliste ? Peut être. Pour autant, pas de hasard. Wonder woman a repris les rênes, par peur de disparaître. Il lui faut continuer sa mission de nouveau. Et il faudra à Bénédicte vivre encore ces expériences professionnelles coûteuses pour atteindre ce "trop" nécessaire pour que le virage à prendre devienne évident pour ne pas dire vital. Il lui aura fallu aller jusqu'à cette goutte d'eau de trop pour que Bénédicte lâche finalement prise et accepte de prendre soin d'elle avant tout. Le temps endurant qui s'est écoulé a un prix. L'addition tombe avec le mot burn-out. C'est l'effondrement physique et moral.
Quand le corps lâche et fait retomber la pression, les douleurs et la fatigue se déploient, se décuplent même. Elles empêchent tout : se lever, marcher, parler... Bénédicte passe par cette période lourde et profonde où l'énergie a disparu, où les larmes coulent à la hauteur des années vécues dans la peur du changement. Incompréhension et perte de repères pour les proches face à un pilier de la famille qui s'effondre, sentiment d'impuissance et angoisses, les déflagrations du burn-out sont là, difficiles à vivre pour tout le monde. Elles sont pourtant indispensables à la renaissance. Aidée des professionnels de santé et de leurs outils, soutenue par des proches et ami(e)s, Bénédicte remonte la pente petit à petit. Après deux mois de silence, le 19 décembre 2024, elle annonce à son employeur sa décision ferme de quitter son poste de Directrice Générale des Services, afin de se protéger et protéger sa santé. Libérée de ce poids, les douleurs s'atténuent, la chape de plomb tombe. Bénédicte va continuer à se soigner, retrouver le plaisir de vivre pleinement les moments, reprendre le sport... Fin février 2025, elle quitte sa collectivité après 25 années d'un engagement sans faille, sur le plan professionnel et humain. Elle a passé le cap de la peur du changement et est désormais ouverte à vivre autrement, toujours tenace et désormais à l'écoute de ses besoins et de ses limites, sans sacrifice. Elle sera désormais uniquement coach. C'est une évidence pour celle qui a ouvert les yeux sur son propre fonctionnement et sur ses failles. C'est l'aboutissement d'une lutte ouverte entre la femme engagée et tenace et la femme à l'écoute de ses besoins qui se cherche et veut exister en acceptant ses faiblesses. C'est un souffle nouveau, une vie professionnelle qui retrouve son sens et son essence même.
Le témoignage de Bénédicte illustre un paradoxe qui touche de nombreuses personnes, les femmes plus particulièrement. On parle ici d'une dualité profonde et intime, peut-être même transgénérationnelle. D'un côté, décider de ne jamais rien lâcher, d'être tenace pour exister, créer sa place de femme et de dirigeante dans un monde professionnel où le genre masculin domine encore largement. Devoir défendre cette place en affrontant, vaille que vaille, les clichés ancestraux toujours ancrés dans notre société. De l'autre côté, choisir d'accepter ses failles, ses besoins et ses limites. Travailler sur soi pour intégrer et incarner sa part sensible en explorant la douceur et la tendresse. Prendre la décision de s'aimer soi avant tout, sans se fier à un quelconque avis ou regard extérieur autre.
Et pourtant... La vie de Bénédicte aujourd'hui plus riche de sens et de respect en est une si belle illustration. Ce chemin vers l'acceptation a permis tant. Il est le socle indispensable pour s'aimer, pouvoir aider les autres, contribuer au collectif, sans se faire de mal. Bénédicte nous offre cet état de fait, grâce à son récit. De tout cela, elle a appris que l'engagement ne signifie en aucun cas le sacrifice. Elle s'engage tout autant aujourd'hui, à la nuance du respect de ses besoins personnels en premier lieu. Elle apprend à les exprimer et à parler de s
es limites. Elle s'accepte dans cet apprentissage ponctué d'accomplissement, de sens, d'erreurs qui font avancer et de joie. Bénédicte nous fait le cadeau d'une illustration concrète : chacun de nous peut oser être soi-même sans crainte, sans céder à la pression sociétale, qu'elle soit professionnelle, amicale ou familiale. Elle nous prouve qu'on peut se détacher du regard des autres grâce à l'acceptation la plus intime de nos différentes facettes. Wonder woman et Diana ne sont qu'une. C'est bien l'alliance des deux parts féminines de ce personnage qui en fait une super héroïne.
La super héroïne c'est bien toi Bénédicte. Bravo pour ton parcours et ton courage. Tu as choisi de t'exprimer pour aider quiconque voudra en saisir le message et pour cela nous pouvons uniquement te saluer et te féliciter. Telle une wonder woman, tu t'es engagée et surinvestie. Telle une Diana tu as choisi d'accueillir tes failles, reconnaître tes limites et exprimer avec douceur, authenticité et vérité ta véritable puissance. La graine est semée pour les femmes et les hommes contemporains. Elle grandira dans le cœur de celles et ceux qui sont prêts à la laisser pousser, faisant grandir à la même occasion le coeur de chacun et de l'humanité.
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